« Quant au goût des objets et du détail, il se manifeste notamment à travers l’acquisition précoce d’une « culture du quotidien, du minuscule et du superflu », comme le relève Catherine Monnot dans son livre sur les petites filles. Nancy Huston en a donné une description au chapitre « Petites choses » de son livre-hommage à Annie Leclerc : « Une petite chose, c’est le début de la magie. C’est le secret. Le talisman. Elle cite cet extrait d’une lettre que lui avait adressée Annie Leclerc : « L’art du créateur : rendre sensibles le lointain dans le proche, le proche dans le lointain. Je me souviens de ces rêveries d’immensité auxquelles me conviaient, enfant, les objets-jouets miniatures, mais aussi petites boîtes, coquillages, cailloux, herbes, mouches, fourmis et, plus évanescentes encore, gouttes d’eau, flocons de neige. » Et Huston commente : « En quelques lignes, sa plume a réveillé pour moi l’émerveillement que j’avais moi aussi connu, enfant, à me perdre dans la contemplation d’une bille… ou à follement m’exciter devant une maison de poupées – les petites pièces, les diminutives tables et chaises, les minuscules tasses et soucoupes –, oui, tout est là : rideaux, escaliers, lampes, batterie de cuisine… Jamais je n’ai possédé une telle maison mais j’en ai vu, ah ! et convoité jusqu’à la douleur…
Elle est bien consciente du haut-le-corps que susciteront ces évocations navrantes chez les grands intellectuels* : « Le roman moderne doit traiter de thèmes ÉNORMES. LA MORT, par exemple. AUSCHWITZ. L’HORREUR. LE NON-SENS. MA BITE. LA CRUAUTÉ. Or il va de soi que les GRANDES choses exècrent les petites. L’HORREUR déteste les pâquerettes et les colibris. Le NON-SENS vomit même les tournesols et les buses. Écartez-vous, femmelettes et morpions, ou vous aurez affaire à MA BITE* ! Nous nous occupons ici de choses SÉRIEUSES ! » « Rendre sérieux ce qui semble insignifiant à un homme, rendre quelconque ce qui lui semble important », disait Virginia Woolf… »